Dans le sillage de la Fed, la semaine dernière a été chargée en conseils de politique monétaire chez les émergents.

Divergence de politique monétaire chez les EM face à la force du dollar

Politiques monétaires

Dans le sillage de la Fed, la semaine dernière a été chargée en conseils de politique monétaire chez les émergents.

Si le mot d’ordre est au resserrement monétaire agressif pour les Banques centrales des pays développés, on constate au contraire une divergence dans l’orientation des politiques monétaires au sein des EM.

Les Banques centrales EM, qui avaient relevé leurs taux d’intérêt avant la Fed, notamment celles d’Amérique latine, sont proches de la fin de leur cycle monétaire. L’inflation a atteint un plateau en Amérique latine et dans 3 pays de l’ASEAN (Vietnam, Philippines et Indonésie). A contrario, l’inflation accélère en Europe de l’Est, liée à sa forte vulnérabilité énergétique.inflation-par-regions-moyenne-%-ga
Ainsi, le Brésil a gardé son taux Sélic inchangé à 13,75 % après 1 175 pdb de hausses de taux depuis 2021. L’amélioration rapide du profil d’inflation et la stabilisation des anticipations à 12 mois ont motivé la décision. Le taux Sélic est 8,2 pts au-dessus des anticipations d’inflation à 12 mois (graphe ci-après).

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A contrario, les Banques centrales asiatiques, qui n’avaient pas relevé leurs taux d’intérêt directeurs avant la Fed, car la problématique d’inflation n’était pas prégnante dans la région, ont changé d’orientation dans le sillage de la Fed.

L’Indonésie, qui était la seule Banque centrale de la région à ne pas avoir augmenté son taux directeur, l’a relevé de 50 pdb à 4,25 %, soit 75 pdb de hausse depuis 2021. L’inflation devrait accélérer, à cause de la hausse des prix alimentaires et énergétiques. Le gouvernement a également augmenté le prix de l’essence en retirant la subvention, ce qui devrait mettre sous tension les prix à la consommation. Cependant,  la décision a probablement été motivée par la dépréciation de sa roupie qui a atteint un plus bas depuis deux ans face au billet vert et qui l’a contraint à intervenir sur le marché de change, afin d’enrayer sa baisse. Les Philippines, ont relevé également de 50 pdb leur taux directeur à 4,25 %, face à la détérioration des perspectives d’inflation.

L’Afrique du Sud a suivi la Fed en relevant de 75 pdb son taux directeur à 6,25 %, première hausse de cette ampleur, soit 250 pdb de hausses depuis 2021. L’inflation accélère fortement à 7,6 % en septembre, au-dessus de sa borne supérieure de cible d’inflation de 6 %. La SARB fait partie des Banques centrales EM les plus en avance par rapport à la Fed, en relevant de 275 pdb depuis 2021.

Enfin à contre-courant, comme à son habitude,  la Turquie  a encore baissé de 100 pdb son taux d’intérêt de référence à 12 %, afin de soutenir l’activité dans la perspective des prochaines élections présidentielles qui auront lieu dans 9 mois.

La volatilité des devises des pays développés est plus importante que celle des devises EM sur la période récente.

Stratégie de marchés

En contraste avec le bain sang que subit le Sterling face à la force du dollar, les devises EM, y compris la livre turque, ont plutôt bien résisté sur la semaine.

On peut le voir sur les volatilités des devises mesurée par les indices JP Morgan.

La volatilité des devises des pays développés est plus importante que celle des devises EM sur la période récente, comme le montre le graphique ci-dessous.

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Le matelas de taux d’intérêt et les surplus courants protègent les devises EM, notamment des pays producteurs de matières premières.

Le matelas de taux d’intérêt protège les devises EM, notamment celles qui sont en avance par rapport à la Fed, comme le réal brésilien. Cependant, ce qui explique probablement cette différence de comportement entre les devises EM et celles des pays développés est le surplus courant. Les pays EM producteurs et exportateurs nets de matières premières ont des excédents courants : c’est un facteur fondamental de soutien aux devises EM.

La dépréciation des devises asiatiques reflète également celle du yuan contre dollar. La devise chinoise est proche de la parité contre dollar de 7,2 qui avait valu, en 2019 et 2020, l’intervention de la PBoC pour freiner la dépréciation du yuan. C’est un seuil psychologique important pour les opérateurs de marché.

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La PBoC a aujourd’hui fixé un taux de réserves obligatoires sur les contrats forward en devises à 20 %, dans le but de rendre plus chère la spéculation sur sa devise en utilisant les contrats forward ou les options de change. Même la devise chinoise a du mal à résister à la force du dollar. La Banque centrale d’Indonésie est intervenue ce matin pour soutenir sa roupie qui atteint un plus bas depuis deux ans face au billet vert, montrant qu’elle n’est pas à l’aise avec ce niveau. Les devises qui ont un matelas de taux d’intérêt et des excédents courants sont les mieux loties dans cet environnement de dollar fort. C’est le cas des devises d’Amérique latine.

La baisse de taux directeur surprise de la Banque centrale de Turquie augmente le risque de crise de change. En 2018, ce qui avait permis à la Turquie d’éviter une crise de change était la contraction rapide de la croissance du crédit. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, car la croissance du crédit a atteint 70 % GA et alimente les pressions inflationnistes. La Turquie est caractérisée par un déficit d’épargne qui nécessite des flux de capitaux extérieurs. Dans le contexte géopolitique actuel, la Turquie a reçu 10 milliards de dollars de la part de la Russie et 20 milliards de l’Arabie Saoudite, ce qui lui a permis de reconstituer ses matelas de liquidités. C’est un équilibre fragile pour la Livre.