La panique s’est emparée des marchés financiers chinois, après que le New York Times a révélé que la Russie aurait demandé à la Chine de lui fournir des équipements militaires, ainsi qu’une aide financière pour l’aider à surmonter les sanctions internationales.

La hausse du spread CDS 5 ans de la Chine connaît un plus haut depuis le début de la pandémie en 2020, reflète une prime géopolitique liée à ses liens avec la Russie qui sont scrutés par l’administration J. Biden en vue de lui imposer des sanctions si les autorités chinoises proposaient leur aide. À noter : les spreads CDS de plusieurs pays se sont élargis, reflétant la gravité du conflit aux portes de l’Europe et ses impacts inflationnistes.

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La nouvelle a été rapidement démentie par la Chine et la Russie. Le rapprochement entre la Chine et la Russie doit être rompu pour l’administration Biden, car il menace l’hégémonie américaine. Quels sont les catalyseurs qui ont motivé ce rapprochement ? Est-ce un rapprochement total ou seulement de
connivence ?

Chine et  Russie : deux économies complémentaires

Depuis l’annexion de la Crimée en 2014, la Russie a compris que ses relations avec l’Europe étaient rompues et s’est tournée vers la Chine.

La Chine a d’importants besoins énergétiques et alimentaires que la Russie peut combler facilement. Le pays est le troisième producteur mondial de pétrole (production de 11,05 millions de barils par jour), le deuxième producteur mondial de gaz naturel (22,5 trillions de mètres cubes) derrière les États-Unis et avant l’Iran et le plus grand exportateur mondial de blé (18 % des exportations mondiales). La Russie, elle, a des besoins technologiques et en capital que la Chine peut lui fournir. Les deux économies sont donc complémentaires et peuvent explorer ces synergies.

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Le commerce entre les deux pays s’est donc intensifié depuis 2014. En 2021, les échanges commerciaux entre les deux pays ont atteint 140 milliards de dollars, un record historique, alors qu’ils étaient de
10,7 milliards de dollars en 2001.

La Chine est devenue le principal partenaire commercial de la Russie et représente près de 15 % de ses exportations et près de 25 % de ses importations. Sur le plan économique, la Russie est donc très dépendante de la Chine.

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Du côté chinois, les exportations vers la Russie représentent 2 % de ses exportations et 3 % de ses importations. La Chine apparaît alors très peu dépendante de la Russie, mais son rapprochement repose sur deux autres objectifs stratégiques : la décarbonisation de son économie et la sécurisation de ses approvisionnements énergétiques.
La dépendance économique de la Russie vis-à-vis de la Chine devrait augmenter au cours des prochaines années à cause des sanctions internationales et de la transition énergétique. En effet, la Russie souhaite réduire sa dépendance vis-à-vis de l’Europe à cause de la neutralité carbone et souhaite tirer profit de ses ressources naturelles avant la transition énergétique globale.

Power of Siberia 2 : le catalyseur de l’accélération du rapprochement entre la Chine et la Russie

La Chine a fixé comme objectif de décarbonisation de son économie à 2060, ce qui implique de privilégier le gaz naturel. La transition énergétique de la Chine entraînera un pic de la demande de pétrole d'ici 2026, selon le président du géant pétrolier d'État Sinopec. D’ici 2050, le gaz sera le principal combustible fossile de la Chine. La demande chinoise devrait passer à 640 milliards de mètres cubes en 2040, contre 326 l’an dernier. En décembre 2021, les importations de gaz naturel de la Chine avaient atteint un record à 4,02 mt, soit 10,8 % GA.

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C’est dans cette perspective, que s’inscrit le projet Power of Siberia 2.

C’est le plus grand projet de gazoduc au monde qui relie la Russie à la Chine, en passant par la Moldavie. Sa capacité est de 50 bcm/an, soit supérieure à celle de Power of Siberia 1 (36 bcm/an), qui alimentait déjà la Chine depuis 2019 en exploitant les gisements de gaz de l’Extrême-Orient russe. La Chine avait profité de l’effondrement de l’économie russe en 2014 pour négocier ses prix du gaz à un tarif préférentiel.

La Chine a toujours diversifié ses approvisionnements énergétiques, ce qui lui avait permis de négocier les prix. L’accélération de ce projet gazier colossal avec la Russie permet d’assurer son approvisionnement en gaz naturel pour les trente prochaines années à un prix préférentiel et de se débarrasser de sa dépendance au gaz LNG en provenance des États-Unis et au charbon en provenance de l’Australie, deux pays qui lui sont hostiles. La Chine achète 38 milliards de mc/an de gaz russe. En comparaison, l’Europe reste le plus grand client de la Russie en important 200 milliards de mc/an.

Y-a-t-il vraiment une alliance entre la Chine et la Russie ?

  • Un intérêt commun de briser l’hégémonie du dollar dans le système international

Si le rapprochement entre les deux pays est d’abord d’ordre économique, la Russie et la Chine partagent le même intérêt commun de briser l’hégémonie du dollar dans le système international. D’ailleurs, le projet Power of Siberia 2 prévoit un règlement en yuan des transactions gazières.

La Russie a réduit drastiquement ses détentions en emprunts d’État américains, mais a augmenté ses réserves d’or, afin de se protéger d’éventuelles sanctions internationales. Le secteur bancaire et les entreprises russes avaient été contraints de se désendetter lors des sanctions de 2014. Leur dette externe a diminué de plus de 40 % à 380 Mds $. La dette externe totale a diminué, passant de 733 Mds $ au deuxième trimestre 2014 à 472 Mds $ à fin 2021. La Russie avait donc commencé à réduire sa dépendance au billet vert, mais elle n’a pas été assez rapide face à l’ampleur des sanctions internationales actuelles.

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La Chine veut accélérer l’internationalisation du yuan. En janvier, la part du yuan dans les paiements sur la messagerie sécurisée SWIFT (3,2 %) avait dépassé celle du Japon à 2,8 %. Hier, lorsque l’Arabie Saoudite avait évoqué l’idée de facturer son pétrole à la Chine en yuan, comme un de pied de nez aux États-Unis qui cherchent un accord sur le nucléaire iranien, la devise chinoise s’était appréciée face au billet vert. Le fait que les matières premières soient facturées en dollar, renforce la dépendance des pays et des économies au billet vert et son statut de monnaie de réserves. Le conflit ukrainien risque d’accélérer l’internationalisation du yuan.

  • Des intérêts géopolitiques totalement opposés

« Les États n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts », disait Henry John Temple, à propos de l’Angleterre en 1848. Les deux pays sont des puissances qui ont manifesté leurs aspirations hégémoniques. Le but de la Chine est clairement de remplacer les États-Unis comme puissance mondiale et de créer un nouvel ordre mondial.

D’autre part, la Chine ne veut pas, sur le long terme, dépendre totalement de la Russie pour ses approvisionnements énergétiques. La Chine souhaite augmenter sa propre production et réduire ses importations énergétiques. Cela va à l’encontre des intérêts de la Russie.

La Chine et la Russie sont également très présents en Afrique, mais pour des intérêts différents. La Chine a des intérêts économiques à travers son projet « Belt and Road Initiative », alors que la Russie vend plutôt ses armes. La Russie propose également son armement à l’Inde ou le Vietnam qui sont hostiles à la Chine.

La Chine a augmenté également son influence dans les pays d’Asie Centrale, comme le Turkménistan, qui est dans la zone d’influence de la Russie. À cela s’ajoutent des accusations d’espionnages mutuels, notamment côté russe – espionnage militaire et nucléaire.

Enfin, l’économie chinoise ralentit en lien avec sa crise immobilière et la Chine ne peut pas se mettre à dos l’Union européenne, son principal partenaire commercial. C’est ici que réside la limite de l’alliance de la Chine avec la Russie. Les autorités chinoises ne souhaitent pas que ses entreprises soient visées par des sanctions internationales, à cause d’un soutien trop flagrant à la Russie. D’autre part, pour que la Chine continue de poursuivre ses intérêts, il ne faut pas que la Russie soit trop puissante. Le rejet de la Russie par l’Union européenne la pousse dans ses bras et la renforce.

 

  • Zouhoure Bousbih

    Zouhoure Bousbih

    Stratégiste pays émergents