Sur des marchés qui manquent de lisibilité et connaissent une faible liquidité quotidienne, les stratégies de smart beta peuvent-elles être efficaces ? Nicolas Just, directeur de la gestion quantitative actions chez Ostrum Asset Management, décrypte les évolutions de cette gestion, alors que les conditions de marché se modifient de nouveau.

Comment se porte le smart beta ?

Le smart beta cherche soit à recomposer des portefeuilles ou des indices avec une pondération différente des valeurs, soit à construire des portefeuilles « intelligents » et robustes, basés sur des tendances d’investissement, des facteurs de risque – ce que nous faisons chez Ostrum AM. Depuis la Covid, l’environnement est compliqué pour la gestion smart beta, car les marchés actions sont marqués par des successions de mini-tendances fortes. Si l’on analyse les performances calendaires mensuelles des cinq dernières années, sept des huit derniers mois affichent des performances parmi les dix plus élevées ou les dix plus basses de la période. Il est donc difficile de se positionner et de s’indexer sur des tendances de long terme.

Va-t-il falloir s’habituer à avoir des tendances aussi courtes ?

Depuis la Covid et la guerre en Ukraine, les marchés ont été plus influencés par les flux de court terme que par les fondamentaux. Certains investisseurs sophistiqués, comme les CTA1 ou les hedge funds, ont pu s’adapter à ces marchés. Dans le smart beta aussi, les investisseurs ont dû raccourcir l’horizon de leur stratégie d’investissement et ce type d’investissement s’est adapté à ces tendances de court terme. Il a ainsi permis de neutraliser des risques spécifiques liés à certaines sociétés, par exemple sur des questions d’ESG ou de profit warning. Les collectes et décollectes ont également été beaucoup plus rapides sur le smart beta, ce qui n’est pas forcément efficace pour tirer parti de stratégies visant des tendances à moyen/long terme. La hausse des taux d’intérêt marque désormais un grand changement : ce nouvel environnement devrait enfin permettre de valoriser des sociétés d’une manière plus classique, comme avant 2008. Et ainsi bénéficier aux stratégies quantitatives et aux investisseurs de long terme.

Quelles stratégies smart beta privilégier ?

Il faut séparer les stratégies de long terme, comme l’investissement sur la faible volatilité, capable de surperformer les marchés sur cinq à sept ans, des stratégies plus tactiques, de court terme, comme l’arbitrage value/ croissance ou l’investissement momentum, qui cherche à profiter d’une poussée du marché, souvent consécutive à un événement.
L’investissement sur les small caps, sur le facteur de la taille de l’entreprise, a beaucoup souffert, notamment en Europe. Cela s’explique par le fait que les petites sociétés européennes sont structurellement beaucoup plus exposées au facteur croissance, lui-même pénalisé par la courbe des taux. Mais si cette dernière se stabilise dans la seconde partie de l’année, alors l’investissement en small caps pourra s’avérer à nouveau judicieux.
Enfin, les stratégies multifactorielles présentent un intérêt pour les investisseurs de long terme. Elles mêlent plusieurs facteurs dont on fait évoluer le poids en fonction du risque inhérent, de leur volatilité ou de leur bêta, afin de capter une partie de la prime de risque de chacune des stratégies.

L’investissement smart beta peut-il intégrer une approche ISR ?

L’ISR pourrait devenir un nouveau facteur de risque pour le smart beta. Néanmoins, nous manquons encore de recul et certains éléments ne permettent pas d’en faire dès aujourd’hui un facteur à part entière – notamment car la prime de risque liée à cet investissement intervient de manière intermittente. Il peut créer de la surperformance comme rester neutre longtemps. De plus, ce facteur embarque en lui-même d’autres facteurs, notamment des biais qualité et croissance. On peut également considérer l’ISR comme une dimension supplémentaire pour contrôler les risques d’un portefeuille. Il peut donc être ajouté aux autres facteurs de risque, comme nous le faisons chez Ostrum AM. Nos facteurs de risque sont systématiquement retraités de l’ISR, ce qui nous permet de construire des fonds classés article 8 ou labellisés ISR2.

A quelles évolutions êtes-vous attentifs ?

La quantité croissante de données ISR disponibles nous permet de travailler ces thèmes de manière quantitative et non discrétionnaire. Nous qualifions ainsi le dosage ISR des portefeuilles d’autant plus finement que le nombre de données ISR s’accroît. De plus, les signaux faibles de controverse, comme les problèmes de fraude, ne peuvent pas être détectés avec les données traditionnelles. Pour contrer cela, nous travaillons avec des sociétés qui utilisent l’intelligence artificielle pour identifier sur les réseaux sociaux les constructions de controverses. Machine learning, text mining et autres technologies intelligentes vont continuer à apporter de nouvelles données et contribueront peut-être à faire évoluer les facteurs de risque du smart beta. 

1- Commodity Trading Advisors
2- https://www.lelabelisr.fr/
 

 

La normalisation des valorisations sera favorable au smart beta

Download Télécharger l'insight
  • Nicolas Just

    Nicolas Just

    directeur de la gestion quantitative actions