Un virage à 180 degrés

Un virage à 180 degrés s’est opéré au sein de la zone euro entre les pays périphériques, d'une part, et les pays core et semi core, d'autre part, sur le plan des finances publiques. Celles-ci s’améliorent pour les premiers et tendent à se détériorer pour les seconds. Cette divergence s’observe particulièrement entre la France et l’Italie.

La France a connu deux années consécutives de fort dérapage budgétaire ce qui a amené le déficit public à 5,8% du PIB en 2024, le ratio le plus élevé des pays de la zone euro.  De la sorte, le solde primaire (solde budgétaire hors charge d’intérêt) est négatif (-3,7% du PIB en 2024) et le plus élevé de la zone euro, après la Slovaquie. Le gouvernement vise à ramener le déficit budgétaire à 5,4% en 2025, 4,6% en 2026 et sous les 3% en 2029. L’effort pour 2026 serait de 40 Md€ d’économies à réaliser ce qui se révèle très significatif et particulièrement ardu dans un contexte de Parlement très divisé. Le déficit budgétaire devrait ainsi rester élevé et amener les agences de notation S&P et Fitch à baisser la note de la dette française à A+, potentiellement dès la fin de l’année (la perspective attachée à la note est négative pour ces 2 agences).

Cela contraste avec les progrès réalisés par l’Italie sur le plan budgétaire. Le déficit est passé de 7,2% du PIB en 2023, à 3,4% en 2024, en raison notamment de la fin progressive du « superbonus », un crédit d’impôt destiné aux ménages pour la rénovation énergétique de leur logement. Cela a permis au solde primaire de devenir légèrement excédentaire dès 2024. Il devrait continuer de s’améliorer. Le gouvernement italien a pour objectif de ramener le déficit public sous les 3% du PIB dès l’année prochaine. La croissance devrait notamment bénéficier de l'accélération des versements de l'UE dans le cadre de NextGenerationEU. Contrairement à la France, et aux craintes qui prévalaient lors de l’arrivée de Giorgia Meloni à la tête de la coalition en septembre 2022, le gouvernement italien est stable. Il poursuit une politique budgétaire prudente ce qui s’est notamment traduit par un relèvement de la note de l'Italie par S&P en avril dernier à BBB+ contre BBB précédemment. Fitch et Moody’s pourraient également relever leur note, leurs perspectives étant positives.

Cette divergence des finances publiques est l'un des éléments plaidant pour la convergence du spread de l’Italie, par rapport à l'Allemagne, et du spread français d'ici la fin de l'année.

  • Aline Goupil-Raguénès
    Aline Goupil-Raguénès

    Stratégiste pays développés

Méfiez-vous de l'eau qui dort

La dissolution de l’Assemblée nationale en juin 2024 par le Président Emmanuel Macron était inattendue par les marchés financiers et a créé une incertitude politique. Le spread OAT/Bund a réagi par un écartement à 80 points de base et bien au-delà, à 88 points de base fin 2024, avec la chute du gouvernement de Mr Barnier.

En 2025, la France bénéficie d’un environnement de baisse de taux de la BCE avec un resserrement des spreads généralisé des dettes emprunts d'états européens sans pour autant avoir amélioré son déficit budgétaire.

Le risque politique français passe en second plan avec le « Libération Day » et l’annonce du plan allemand qui soutient le spread français. Ce dernier traite autour de 70 points de base et intègre une moindre prime de risque politique.

En termes de flux, les Fast Money ont réduit leur position longue (futures), cependant les comptes asiatiques (hors Japon) font leur retour sur le marché primaire contrairement à 2024. La zone euro bénéficie également de réallocation des Etats-Unis.

La dette française est liquide et profonde et bénéficie d’acheteurs récurrents tels que les gestions assurance, fonds de pension, « funds managers », trésoriers de banque pour des raisons de ratio d'actifs liquides de haute qualité.

Les défis à venir restent élevés pour le troisième trimestre 2025 avec les discussions sur le budget 2026 à définir et les 40 Md€ d’économies à trouver, les réformes structurelles à faire pour inverser la trajectoire du déficit, un risque non nul d’une nouvelle élection évoquée par Mr Macron, épée de Damoclès des agences de notations avec un risque élevé que la France perde son rating AA.

Dans ce contexte, le spread français pourrait s'écarter d'ici la fin de l'année et atteindre un niveau de 80 points de base.

  • Sophie Gabriel
    Sophie Gabriel

    Gérante Euro Aggregate

Tous les chemins mènent à Rome

La dynamique actuelle du marché, marquée par le resserrement des spreads entre les BTP (obligations italiennes) et les Bund (obligations allemandes), crée un environnement favorable pour les investisseurs. Les taux réels souverains augmentent en Europe, mais restent environ 100 points de base en dessous de la moyenne pré-pandémique en Italie. En effet, l’Italie bénéficie d’un soutien significatif de NextGenerationEU, couplé à une balance primaire qui redevient positive, témoignant d'une santé fiscale encourageante.

 

Les données sur les flux révèlent une demande croissante pour la dette italienne de la part des investisseurs étrangers. Ces mêmes investisseurs sont des acheteurs marginaux d'obligations de la zone euro, compensant le déclin de la demande des investisseurs européens et le programme d'assouplissement quantitatif de la BCE. De plus, l'Italie est émetteur régulier d'obligations "BTP Valore" destinées aux investisseurs particuliers, ayant levé 25 Md€ depuis le début de l'année, après 29,5 Md€ en 2024. 
 

Coté demande, il est important de noter qu'il subsiste plus de 860 Md€ en dépôts courants, offrant ainsi au gouvernement la capacité de poursuivre ses émissions destinées aux citoyens. En outre, les investisseurs italiens détiennent environ 55 Md$ de dette américaine. Les changements  structurels en cours incitant à une réallocation des investissements des actifs américains vers l'Europe devraient soutenir la demande pour la dette italienne.

 

Un aspect particulièrement pertinent est l'existence de l'instrument de protection mis en place par la BCE en 2022, qui sert de soutien aux spreads italiens, garantissant une plus grande stabilité dans un environnement de marché incertain.

 

En termes de risque politique, la situation en Italie apparaît moins préoccupante par rapport aux précédents épisodes d'instabilité. Le climat politique actuel favorise un environnement de marché stable, ce qui contribue à la confiance des investisseurs.

 

L'amélioration générale des conditions économiques offre aux investisseurs une perspective rassurante aidant au resserrement du spread italien.

  • Cedric Bernard-Villeneneuve
    Cedric Bernard-Villeneneuve

    Gérant Euro Aggregate